La sirène et le pêcheur – Knut Ekval |
La figure de la sirène, dont les premières représentations datent de l’Antiquité, n’a cessé en tous temps d’inspirer les artistes. Personnage fascinant, elle est dotée de nombreuses qualités : cette beauté rare posséde un savoir inaccessible aux simples mortels ainsi qu’une voix enchanteresse. Plus qu’une séductrice hors pair, la plupart des récits en font une créature redoutable pour l’homme qui croise son chemin : provoquant la plupart du temps les naufrages de bateaux et le péril de leurs équipages, nous sommes en mesure de nous demander si ce n’est plutôt la raison des hommes que la sirène fait chavirer de ses charmes. Elle se rapproche en cela de la figure de la femme fatale, dont le pouvoir de séduction prend une telle ampleur que le danger n’est jamais bien loin.
La sirène – John William Waterhouse |
La sirène – John William Waterhouse |
Bien qu’elles ne soient décrites que de façon assez floue dans les écrits homériques, les sirènes sont représentées à l’époque comme des chimères à corps d’oiseau et à tête de femme : on retrouve par exemple nombre de représentations de la rencontre d’Ulysse et des sirènes sur des céramiques.
On retrouve par la suite ces chimères mi-femmes mi-oiseaux dans les Métamorphoses d’Ovide.
La sirène – Arnold Böcklin (1887) |
Les bestiaires sont des répertoires médiévaux où se côtoient animaux exotiques et créatures mythologiques.
Les déplacements au Moyen-Âge étant plus que limités, il n’est pas totalement saugrenu qu’à côté d’animaux exotiques comme l’éléphant ou le rhinocéros l’on compte des créatures mythiques comme les licornes, les griffons, les dragons ou encore nos chères sirènes. En effet, la matière de ces bestiaires est généralement puisée dans la Bible ainsi que dans les textes et œuvres antiques. Or, ceux-ci présentent aux même côtés animaux réels et figures surnaturelle.
A côté du dessin ou de la gravure représentant la créature en question, on trouve une brève description comportant ses principales caractéristiques. Nombre de bestiaires à caractère chrétien prêtent également aux animaux et créatures mentionnées des propriétés morales, dans le but d’être utilisées pour ses sermons. Mais l’on trouve également nombre de bestiaires laïques où l’ouvrage puise dans une veine davantage didactique, philosophique ou courtoise.
Bestiaire d’Amour-Richard Fournival (1250) |
Bestiaire de Philippe de Thaon (1125) |
La sirène qui y est représentée a d’abord, dans un phénomène d’inversion, une fonction protectrice : on la retrouve ornant les seuils de nombreux édifices. C’est le cas pour les édifices du Poitou, dont les façades présentent des sirènes de façon récurrente.
Eglise Saint-Ethrope de Saintes, Poitou |
Conjointement, dans le discours religieux chrétien, la sirène devient peu à peu le véritable symbole de la luxure : corps nu, chevelure abondante, double-queue représentant l’attribut sexuel. Elle devient, en outre, un véritable démon, un symbole du vice, et s’oppose à la vierge et à la femme mariée.
Basilique de Brioude, Auvergne |
L’apparition du fin’amore (amour courtois) à la même époque participe également, bien qu’indirectement, à redorer l’image de la sirène en séparant la gente féminine du statut démoniaque qui lui colle à la peau (voir les ballades romantiques de Guillaume de Machaut, puis l’œuvre féminine de Pernette du Guillet).
Toutes ces évolutions nous permettent de retrouver, bien plus tard, une sirène à l’aspect moins effrayant dans le conte La petite ondine de Hans Andersen (1837).
The Land Baby – John Collier (1899)
Quelques poèmes qui parlent de sirènes :
Ses mâts touchaient l’azur, sur des mers inconnues;
La Cyprine d’amour, cheveux épars, chairs nues
S’étalait à sa proue, au soleil excessif.
Dans l’Océan trompeur où chantait la Sirène,
Et le naufrage horrible inclina sa carène
Aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil.
Révélaient des trésors que les marins profanes,
Dégoût, Haine et Névrose, entre eux ont disputés.
Qu’est devenu mon coeur, navire déserté?
Hélas! Il a sombré dans l’abîme du Rêve!
Une harpe d’amour soupirait, infinie ;
Les flots voluptueux ruisselaient d’harmonie
Et des larmes montaient aux yeux des matelots.
Une haleine de fleurs alanguissait les voiles ;
Et le ciel reflété dans les flots pleins d’étoiles
Versait tout son azur en l’âme des nochers,
Leurs voix d’amour pleuraient des larmes dans la brise,
Et c’était une extase où le coeur plein se brise,
Comme un fruit mûr qui s’ouvre au soir d’un jour pesant !
Le vaisseau s’en allait, enveloppé de rêves ;
Et là-bas – visions – sur l’or pâle des grèves
Ondulaient vaguement des torses amoureux.
Les Sirènes venaient, lentes, tordant leurs queues
Souples, et sous la lune, au long des vagues bleues,
Roulaient et déroulaient leurs volutes d’argent.
Les nacres de leurs chairs sous un liquide émail
Chatoyaient, ruisselant de perles cristallines,
Et leurs seins nus, cambrant leurs rondeurs opalines,
Tendaient lascivement des pointes de corail.
Leurs bras nus suppliants s’ouvraient, immaculés ;
Leurs cheveux blonds flottaient, emmêlés d’algues vertes,
Et, le col renversé, les narines ouvertes,
Elles offraient le ciel dans leurs yeux étoilés !…
Des lyres se mouraient dans l’air harmonieux ;
Suprême, une langueur s’exhalait des calices,
Et les marins pâmés sentaient, lentes délices,
Des velours de baisers se poser sur leurs yeux…
Jusqu’au bout, aux mortels condamnés par le sort,
Choeur fatal et divin, elles faisaient cortège ;
Et, doucement captif entre leurs bras de neige,
Le vaisseau descendait, radieux, dans la mort !
La nuit tiède embaumait…Là-bas, vers les îlots,
Une harpe d’amour soupirait, infinie ;
Et la mer, déroulant ses vagues d’harmonie,
Étendait son linceul bleu sur les matelots.
Les Sirènes chantaient… Mais le temps est passé
Des beaux trépas cueillis en les Syrtes sereines,
Où l’on pouvait mourir aux lèvres des Sirènes,
Et pour jamais dormir sur son rêve enlacé.
* * *
Pour aller plus loin :
Racines et traditions – Sirènes, Tristan Mandon
Mythes, légendes et femmes : pour une réhabilitation de la sirène, chez Madmoizelle
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