Aux XVIIe et XIXe siècles, la vision de la mort est toute différente de celle que nous avons aujourd’hui. Premièrement, le taux de mortalité dans la population est autrement plus important que de nos jours, ainsi il n’est pas rare de croiser une famille qui n’ait pas perdu un ou plusieurs de ses enfants. Aussi le sujet est-il beaucoup moins tabou que de nos jours. Par exemple, l’une des promenades phares, entre amis ou en famille, et d’aller visiter la morgue. Les corps des personnes non identifiées y sont exposés dans des vitrines. Il ne s’agit pas d’une pratique marginale, bien au contraire. La morgue de Paris est à cette époque l’un des endroits les plus visités de la capitale. Cette exposition a pour but premier que les corps puissent être identifiés par les visiteurs. Cependant l’on ne peut se douter qu’un certain goût du frisson et du spectacle ne soit pas étranger à la grande affluence de public à la morgue, d’autant plus que les cadavres exposés avaient souvent été victimes de morts violentes, qu’il s’agisse de meurtres ou de maladies. Ainsi, un petit garçon décapité dont la dépouille fut exposée eut énormément de succès auprès des visiteurs, et la direction de la morgue décida de conserver ce corps au succès sensationnel en l’embaumant. Le succès des morgues est également dû à la baisse considérable du nombre d’exécutions publiques : la morgue devient alors le seul lieu où l’on peut contempler des morts. Dernière raison à cette affluence, bien qu’elle nous semble aujourd’hui assez malsaine : la morgue était le seul endroit où l’on pouvait « respectablement » contempler des corps nus. A cette époque de pudibonderie intense, les corps exposés à la morgue n’étaient pas voilés, même au niveau des parties intimes.
Les morgues ne furent fermées au public qu’en l’an 1907.
La première photographie à caractère mortuaire que nous connaissons est l’œuvre de l’un des inventeurs de la photographie, Hippolyte Bayard. Intitulée Autoportrait en noyé, il s’agit d’une photographie mise en scène. Son auteur entend, par le biais de ce cliché, exposer son mécontentement face à l’oubli de sa participation à l’invention de la photographie par le gouvernement français. En effet, Daguerre (cf inventeur du daguerréotype) fut le seul retenu par le gouvernement qui lui octroya une rente à vie. Hippolyte Bayard quant à lui ne toucha rien et l’on oublia de faire mention de ses découvertes.
Plusieurs différences entre les procédés photographiques de Daguerre et ceux de Bayard sont notables. La technique de Daguerre nécessite un temps de pose longue et donne un résultat contrasté et précis. La technique de Bayard quant à elle nécessite un temps de pose relativement court mais donne un résultat plus flou et moins contrasté. Une différence de support également : la technique de Daguerre produit des impressions sur plaques de verre assez lourdes, alors que celle de Bayard produit des positifs directs sur papier.
La propension de la technique photographique entraine un réel essor de la photographie post-mortem. Notons cependant que dans un premier temps, la photographie est réservée aux milieux les plus aisés et le coût pour faire réaliser un portrait de soi ou d’un membre de sa famille est comparable au coût d’un tableau de maître.
L’essor du portrait photographique, dans les années 1840-1850, entraîne naturellement le portrait post-mortem.
La photographie mortuaire parait au premier abord sinistre et malsaine. Il est important de la replacer dans son contexte pour comprendre ce phénomène. Notons d’abord les divers points mentionnés en introduction (mortalité infantile importante, promenades à la morgue…) qui montrent que la mort est un sujet moins tabou dans la société de l’époque puisque c’est une composante omniprésente de la vie quotidienne.
Il faut aussi comprendre que le XIXe siècle est celui de grands bouleversements, et ce dans de nombreux domaines. L’industrie prend une part de plus en plus importante dans l’économie, alors que la religion perd en popularité. Les logements eux aussi changent puisqu’il est maintenant coutume d’attribuer à chaque pièce de la maison une fonction particulière et de ne plus tout faire dans la même pièce. De ce fait, la place de l’intimité devient également plus importante. Les parents commencent à dormir sans les enfants, et les enfants commencent à être considérés comme des individus à part entière.
Latéralement, tous ces changements aux niveaux économique, politique, religieux et social bouleversent grandement les repères de la population. Cela a pour conséquence de donner le plus ample désir à celle-ci de garder des souvenirs.
D’autre part, les cimetières s’éloignent du centre des villes pour s’installer en périphérie. On ne passe donc plus au cimetière presque chaque jour comme on en avait l’habitude, mais occasionnellement et pour des visite plus longues. Cela explique également l’essor des portraits post-mortem. Il s’agit réellement du désir de garder un souvenir du défunt, et cela avec d’autant plus d’ardeur quand on ne possède pas de portrait de feu le disparu.
La photographie post mortem comporte plusieurs modèles. Dans un premier style, les yeux du corps sont le plus souvent fermés : la personne est représentée comme endormie, assoupie ou clignant des yeux dans une pose détendue. Les adultes sont réprésentés sur un lit, les enfants dans leur berceau.
L’état de mort peut également être explicitement signalé par la présence de cierges à côté ou autour du défunt, de fleurs fanées symbolisant la vanité de la vie ou bien de crucifix tenu par les défunts.
Un autre modèle de photographie post-mortem consiste à mettre en scène les défunts avec leurs familles. Dans ce cas, les portraits sont agencés comme ceux d’une famille ordinaire. Les défunts, s’il s’agit d’enfants, sont souvent portés sur les genoux de l’un de leurs parents ou d’un autre membre de leur famille (frères, sœurs …). Ils peuvent également être assis sur une chaise, donnant la main à un proche. Enfin, l’enfant peut être couché par terre, dans un couffin, l’air endormi.
Les personnes adultes sont quant à elles la plupart du temps présentées assises sur une chaise ou un fauteuil.
Enfin, un autre modèle, sûrement le plus perturbant d’entre tous, a pour but de mettre en scène les morts dans des positions de vivants, grâce à un dispositif faisant tenir les corps debout. Les défunts sont alors présentés dans des photographies de famille ou encore, plus rarement, sur leur lieu de travail.
La photographie à cette époque ne met pas seulement en scène le corps de défunts … elle permet également aux proches de réaliser leur portrait avec l’ectoplasme des défunts. En effet, le spiritisme est très à la mode à cette époque. Plus qu’un phénomène marginal, il est très pratiqué, notamment dans les milieux de la bourgeoisie, un esprit cultivé n’empêchant en rien cette superstition. Le spiritisme, pratiqué seul ou bien en complément d’une religion, est considéré comme un véritable art de vivre. On fait des conférences ainsi que des soirées entre adeptes, pendant lesquelles on fait appel à des médiums.
Ceux-ci proposent aux adeptes des théories spiritistes des portraits d’eux-mêmes accompagnés des fantômes des trépassés : les médiums prétendent faire appel aux esprits des défunts. Bien entendu, ils sont les seuls à pouvoir discerner leurs ectoplasmes, en plus d’un complice de leurs tours qui s’en fait le témoin. Cela dit, les ectoplasmes apparaissent sur les photographies, et les clients peuvent donc se faire tirer le portrait avec leurs proches disparus. Il s’agit bien sûr d’un simple procédé de traitement photographique, mais qui attire énormément de monde à cette époque.
Un autre procédé, bien que moins répandu, mérite également d’être mentionné : celui-ci consister à intégrer au développement chimique les cendres du défunt !
La photographie n’est pas le seul procédé visuel qui a pour but de garder un souvenir des personnes décédées. Ainsi, au XIXe siècle, les masques funéraires étaient également très populaires. Ils étaient moulés directement sur le visage du défunt et pouvaient être reproduits en maints exemplaires. Par exemple, la mort de Victor Hugo, qui fut spectaculairement célébrée, entraîna la production de nombreux masques posthumes à son effigie, ce qui permit à ses admirateurs de conserver un souvenir de l’écrivain.
Un des masques funéraire qui eut un grand succès fut celui d’une jeune fille noyée dans la seine (le masque sera intitulé L’inconnue de la Seine). En effet, on disait que son visage avait gardé l’expression d’un sourire. L’anecdote de la jeune fille noyée et son masque inspirèrent d’ailleurs de nombreux artistes.
Enfin, d’autres petits objets sont consacrés au souvenir des défunts. Il était par exemple coutume de se faire fabriquer des bijoux avec les cheveux des trépassés. Nombres de parents portaient en bracelet les cheveux de leurs enfants vivants, et dans la continuité de cette mode, il n’était pas rare que les cheveux des personnes décédées soient récupérés pour créer des barrettes, bracelets, colliers pour les proches de leur famille.