L’orientalisme en Algérie

           À leurs prémices, les inspirations orientalistes émanent des lointaines terres ottomanes, lesquelles sont voilées de par la distance qui les séparent de l’Europe d’un vaporeux et doré voile d’onirisme. Les étoffes turques aux couleurs profondes brodées d’or et parsemées de sequins, les intérieurs aux tapis minutieux et grands rideaux soyeux sans oublier les paysages ensoleillés et bâtisses toutes en rondeurs … Les peintres européens, dès le XIXe siècle, s’éprennent d’un vif intérêt pour ces terres lointaines qui permettent à leurs tableaux d’être emprunts d’exotisme et d’imaginaire. De la Turquie au Proche-Orient, de l’Inde à la Grèce et à l’Espagne, les terres d’inspirations sont nombreuses et variées. C’est du Moyen-Orient dont nous allons parler dans la première partie de ce dossier, et plus particulièrement de l’Algérie, qui devient après la colonisation française un sujet d’étude privilégié et l’exil apprécié de nombreux artistes. Qu’il s’agisse de tableaux oniriques flamboyants, de scènes documentaires des coutumes indigènes ou bien de scènes de guerre, je vous propose un tour d’horizon de cet orientalisme algérien.

La colonisation de l’Algérie débute en 1830. Cette conquête que l’on dénommera « département français » a la particularité d’être une colonie de peuplement et de fait, d’accueillir nombre de citoyens français sur ses terres, si bien que l’Algérie sera surnommée « l’Orient de la France ». C’est en partie par le biais de ce fait historique que l’Algérie devient un sujet de prédilection chez les peintres français pendant plus d’un siècle, ce dès la moitié du XIXe siècle. L’Orient est alors un monde qui attise la curiosité et éveille les fantasmes.

Les artistes sentent se revêtir, au contact de ces terres d’ocre du Maghreb, leur âme de rêves sensuels et de liberté vive. Liberté d’expression au travers de leurs œuvres également, en effet d’aucuns se plaisent à illustrer des groupes de femmes orientales durant leurs moments de repos, qu’il s’agisse des baignades au harem ou bien des discussions autour d’une chicha. Ces tableaux aux sujets féminins sont emprunts d’une forte consonnance érotique, la nudité y étant souvent présente sans intention d’illustrer un épisode mythologique ou de faire allusion à la fécondité. De plus, les pauses détendues et négligées des modèles ainsi que les couleurs très vives et chaudes de ces tableaux renforcent l’impression de sensualité qui s’en dégage. Scènes souvent dépeintes en intérieur, la faible luminosité dore les corps et accentue encore cet effet, de même que la décoration très chargée et les nombreuses étoffes qui donnent un aspect chaleureux aux scènes.

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Femmes d’Alger dans leur appartement , Eugène Delacroix , 1834

Ici sont peintes de riches femmes algéroises, dont on peut contempler le luxe de l’habitat. Les modèles sont toutes alanguies : déchaussées de leurs babouches, reposées sur des coussins soyeux, richement parées et assises sur des tapis.

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Scène de harem, femme mauresque , Chassériau , 1854

La jeune femme est mise en valeur par l’arrière-plan sombre faisant ressortir les courbes de son corps et le drapé des tissus clairs qui la couvrent. La scène est ici purement imaginée, l’entrée aux harems étant strictement interdite aux hommes.

Baignade, Etienne Dinet (1861)

L’artiste peint plusieurs tableaux illustrant des baignades de femmes orientales, souvent à deux pour mettre en valeur leur complicité. Les scènes, souvent à l’extérieur, sont moins chargées que celles d’autres peintres au niveau de la décoration, cependant les jeunes femmes revêtent foulards et bijoux traditionnels.

Peu à peu, les peintres français dits orientalistes s’intéresseront davantage à des scènes dans une veine réaliste. Feront places aux portraits de femmes en fleur non dénuées de sensualité, des portraits qualifiés d’ethnographiques, dans lesquels le peintre s’attache à retranscrire sur sa toile les spécificités des indigènes arabes ou bien berbères, s’intéressant aux particularités des visages et des corps. L’on peint également de nombreuses scènes de rues, déterminées à montrer la vie quotidienne des peuples indigènes : il s’agit aussi bien de citadines s’agrémentant de quelques promenades dans la capitale ou se reposant à l’ombre d’un arbre que de travailleurs dans le milieu où ils évoluent chaque jour, mais aussi d’activités des natifs qui peuvent sembler pour le moins originales aux métropolitains, ou encore de peuples nomades du désert peints durant leurs longs voyages sous des soleils durs. D’abord établis à Alger, les peintres français se désenchantent d’une ville qui s’européanise rapidement sous le contrôle métropolitain : nombreuses constructions occidentales telles que la Place du Gouvernement et acculturation des habitants. C’est pour cela qu’ils s’intéressent par la suite davantage à Constantine, encore préservée dans ce qu’elle a de traditionnel, et à d’autres villes plus au sud comme Biskra dans le Sahara, ayant une envie de découvrir en allant vers le Sud des terres toujours plus préservées.

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Une rue à Constantine , André Brouillet , 1885

Les personnages de ces tableaux portent des vêtements de la vie quotidienne, contrairement aux scènes idéalisées peintes plus haut.

Ain Kerma, Guillaumet, 1867
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Chasse au Héron, Fromentin, 1865
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Caravane près de Biskra, Jean-Baptiste Lazerges, 1845

C’est néanmoins une relation ambiguë qui lie les peintres orientalistes à l’Algérie. Par exemple Delacroix, qui peindra nombre de scènes aux effusions oniriques d’étoffes précieuses, d’encens et de femmes pulpeuses, écrira, dans un manuscrit posthume : « Il était réservé aux européens de détruire à Alger et comme à plaisir tout ce qu’il a été possible de la distribution et de l’ornement mauresques. Il semblait qu’avec nos fracs nous allions introduire sur la terre d’Afrique un autre climat et de nouvelles conditions d’existence ». Car l’Algérie incarne une terre de rêves et de plaisirs, mais également le théâtre d’affrontements violents, comme le décrivent les peintures d’Horace Vernet, peintre attitré de l’armée napoléonienne.

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Prise de la smalah d’Abd-el-Kader, Horace Vernet, 1843

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