Un instant, dispersé entre heures et secondes, éparpillé entre jours et nuits, flottant dans l’espace disloqué dans l’atemporalité, une épine s’est plantée.
Avec douceur, elle a transpercé comme un frôlement, percuté comme un souffle, imperceptible dans le Temps oublié. Le Temps s’était enfui.
La rivière coulait, dans un mouvement naturel et fluide, cyclique, comme un cercle dont on ne perçoit pas le changement. Comme un rafraîchissement perpétuel, à peine perçu, vague et puissant comme une impression qui nous traverse mais que l’on ne peut saisir.
Et la rivière s’en est allée.
Le Temps a retrouvé ses mécanismes.
La vie a quitté le cercle, éphémère et parfait, pour redevenir ligne. Rectiligne.
L’épine est restée.
Sans bruit, sans piqûre, seule une légère irritation, venue d’on ne sait où. L’épine a grandi dans l’insondable, dans l’impalpable.
Elle n’a pas taché les cahiers de sang, comme la blessure vive et soudaine. Elle n’est restée qu’un pressentiment, qui flotte dans une conscience oubliée.
Ses contours n’ont nagé que dans les nuits, dans les nuits au goût suave et amer. Et les nuits étaient oubliées.
On ressentait parfois seulement le flottement, le flottement de cette épine, au fil des pensées et des vertèbres. C’était un ressenti, presque imperceptible. On sentait seulement quelquefois un pas moins assuré, une vision un peu plus trouble. Comme un nuage, un brouillard, comme ces brumes qui couvrent de nos oublis les nuits profondes.
Imperceptible, sauf aux royaumes de l’oubli, là, au fond d’une âme frêle, ou bien d’un bout d’entrailles noué par les instincts. Les instincts vagues lancés par les inconnus aux tirs précis.
Je n’ai revu l’épine qu’à l’automne.
J’ai perçu son froissement dans le craquement de la feuille, sa froideur dans la goutte de la pluie, sa nature insidieuse par le souffle d’un vent humide.
Epine qui a grandi dans les néants habités par ce que la Vue ne peut distinguer. Le pas moins assuré et la vision un peu plus trouble.
La fissure au fond de l’âme frêle, la félure au fond des entrailles.
Quand le Temps a repris sa route. Quand le Temps a repris sa route vers l’espace connu, vers les figures qui jonchent les vies du palpable et les rues bien parcourues. Quand il a de nouveau compté des heures, des minutes et des secondes.
La réalité a suivi le Temps.
Hors du temps et hors du monde, l’éternité est éphémère.
[J’ai aperçu l’épine de ton sourire dans une averse d’automne]